Dominique Robert

Je suis née dans l’Outaouais, j’ai grandi à Aylmer, non loin de Hull (aujourd’hui Gatineau), dans une famille de classe moyenne. Comme dans bien des familles québécoises des années 1960, la scolarisation de mon père s’est arrêtée à la fin du primaire, mais ma mère s’est rendue jusqu’à l’école normale, qu’elle a abandonnée à cause de problèmes de santé. Pendant des années, elle a travaillé à la Bibliothèque nationale d’Ottawa, comme secrétaire personnelle de Guy Sylvestre, l’auteur de la célèbre Anthologie de la poésie canadienne-française (1963). Durant leur jeunesse, les sœurs de ma mère avaient fait du théâtre chez les Compagnons de Saint-Laurent et une d’elles donnait des cours de diction, que j’ai suivis quand j’étais petite. Je ne crois pas que je serais devenue écrivaine sans cette lueur de la littérature canadienne-française dans la moyenne noirceur de ma famille antipéquiste et de ma société nord-américaine en voie accélérée de suréconomisme doublé de surconsommation. J’ai voulu être écrivaine dès mes onze ans. J’étais la meilleure en français en huitième année et mon enseignante de français, madame Boucher, me faisait lire mes rédactions et mes poèmes devant la classe. Chez moi, dans le manuel scolaire Lagarde et Michard qu’on me donnait à étudier, je passais des heures à admirer les portraits de Chateaubriand et de Madame Récamier… Néanmoins, c’étaient les années 1970 et la jeunesse nord-américaine s’adonnait à la drogue et au hard rock. J’en fis de même dès mes treize ans. Durant les années 1980, le haschich et le speed cèdent la place aux poppers et à la cocaïne. En 1986, je déménage à Montréal parce que je veux écrire. Je publie mon premier livre en collaboration avec Joël Pourbaix, un ami rencontré à l’Université d’Ottawa, et mon deuxième chez Anne-Marie Alonzo, aux Éditions Trois. Mais c’est aux Herbes rouges que j’ai hâte de publier. Je rêve de me trouver parmi mes auteurs préférés – Denis Vanier, François Charron, France Théoret, André Roy, Nicole Brossard, Roger Des Roches – depuis mes années d’études littéraires à l’Université d’Ottawa. En 1991, mon rêve se réalise : je publie un premier recueil de nouvelles chez les légendaires frères Hébert.

Dans les années qui suivront, à cause de la précarité du métier d’écrivain, je retourne à l’université pour obtenir mon brevet d’enseignement du français au secondaire. Par chance, j’ai un coup de foudre pour la pédagogie et me passionne pour l’enseignement aux élèves en difficulté d’apprentissage et de réussite scolaire, domaine dans lequel je gagne ma vie à mi-temps depuis vingt-cinq ans. Parallèlement à mon enseignement au secondaire, afin d’arrondir les fins de mois, j’œuvre dans le domaine de l’édition, surtout à titre de réviseure linguistique à la pige. Toujours aussi passionnée de littérature, je retourne à l’université pour compléter une maîtrise en création, puis je continue au doctorat, parce que je veux apprendre à écrire un essai. Ce fut un apprentissage long et douloureux, mais qui portera ses fruits sous peu. Mon premier essai paraîtra fort probablement vers la fin de 2016. En trente ans, j’ai écrit et publié dix livres (sept recueils de poésie, deux recueils de nouvelles, un roman), dont huit aux Herbes rouges. Ce sont des livres que je dirais créés dans un esprit de recherche formelle d’avant-garde – un peu comme le sont certaines musiques ou certains spectacles de danse, de théâtre ou d’art contemporains. Depuis plusieurs années, en fait depuis que j’ai mis fin à une dépendance à l’alcool et à la cocaïne en 1991, je m’intéresse au bouddhisme zen. C’est ce qui explique mon attirance pour la littérature et les arts visuels japonais. En 2012, juste après Fukushima, j’ai fait un premier voyage au Japon. Ce fut pour moi une révélation. En 2014, j’ai obtenu le Studio du Québec à Tokyo, où j’ai eu la grande chance de résider pendant six mois. Depuis mon retour à Montréal, j’étudie la langue japonaise, dans l’espoir de pouvoir enseigner et écrire au Japon dans les années qui viennent. J’ai une idée de roman, qui m’habite depuis plusieurs années, et qui se veut une histoire d’amour entre une femme québécoise et un homme japonais. Bien sûr, dans ce roman, il sera question de photographie, un thème qui parcourt ma création depuis le commencement, sans que je sache vraiment pourquoi. Dans deux ans, j’aurai soixante ans. Quand j’en avais vingt, c’était l’époque du No Future Now, et je ne pouvais même pas m’imaginer que j’allais un jour dépasser les trente ans… J’ai connu bien des gens de ma génération, marqués par une vision nihiliste typique des années 1980, pour qui la vie a tourné plus mal que pour moi.

Je pense que ma passion pour la littérature m’a sauvé la vie. La lueur de la littérature dans la moyenne noirceur de ma famille et de ma vie nord-américaine – déjà en voie d’être complètement détraquée par un assujettissement de toute l’âme sociale à l’économie – était en fait la grande lumière qui peu à peu donnerait tout son sens à ma vie.

Dominique Robert