Budget 2018-2019 et politique culturelle

Budget 2018-2019 et politique culturelle

Quelle place pour la culture dans la société québécoise ?

Le ministre Carlos Leitão a présenté le nouveau budget provincial le 27 mars dernier. Plusieurs ont souligné l’augmentation considérable du budget consacré à la culture. Le Ministère de la Culture et des Communications a effectivement vu son budget s’accroître à 778 millions pour l’exercice financier, un bond de 11% par rapport à 2017-2018, et ce, sans compter les montants qui seront consacrés à la nouvelle politique culturelle. Si la hauteur de ce montant est impressionnante, Guillaume Bourgault-Côté soulignait dans Le Devoir au lendemain de l’annonce que le budget du ministère continue de représenter moins de 1% du budget provincial et n’atteindra 1,1% qu’à terme. Rappelons au passage, comme le fait le gouvernement lui-même en introduction du budget culturel (p. 1), qu’«[e]n 2016, la contribution de cette industrie à l’économie s’élevait à 12,8 milliards de dollars, soit une part de 4 % du PIB du Québec ».

 

Un accueil prudent

La coalition à l’origine de la campagne La culture, le cœur du Québec espérait un budget qui allouerait au moins 2% de ses fonds aux arts et à la culture. Le communiqué de la Coalition déclare donc que, si l’amélioration est notable, elle n’en demeure pas moins insuffisante pour répondre aux besoins du milieu. Dans un texte de 2013 – d’ailleurs intitulé « Qui aime bien finance bien » – Odile Tremblay soulignait que le Québec versait environ « moitié moins que les autres provinces en matière de culture » et invitait de plus en plus à se tourner vers le financement privé et le mécénat : il y a très certainement place à amélioration.

La nouvelle a évidemment été accueillie prudemment par le milieu culturel. Ce changement de ton a de quoi surprendre après les coupes drastiques à BAnQ (2,4 millions en masse salariale seulement en 2017) et au CALQ (2,5 millions coupés dans le fonds en 2015) pour ne nommer que deux des nombreux coups qu’a dû accuser la culture dans les dernières années. Comme Paul Journet le soulignait dans La Presse il y a quelques semaines, la grande majorité des artistes et travailleur.se.s culturel.le.s vivent dans une grande précarité que les décisions budgétaires récentes n’ont fait qu’accentuer.

Soulignons en plus que, étant donné le fait que le dépôt officiel de la politique culturelle de la ministre Montpetit est encore à venir, plusieurs précisions quant à l’usage exact qui sera fait d’une grande proportion du budget nous manquent, contribuant ainsi à l’incertitude qui entoure cette nouvelle. Dans le document du budget, certaines lignes des tableaux explicatifs – correspondant à plusieurs dizaines de millions de dollars –indiquent textuellement « Autres mesures de la politique culturelle ».

 

Les chiffres du budget 2018-2019

Une partie des actions et programmes où seront distribués les surplus de 2017-2018 ainsi que l’augmentation pour 2018-2019 est tout de même déjà connue. L’annonce qui a été faite propose des investissements axés sur l’accessibilité, l’aide à la création et le numérique. Ils sont ainsi déjà ancrés dans les grands axes de la nouvelle politique culturelle (voir la section suivante). En termes d’accessibilité et de médiation, des investissements seront faits pour favoriser l’action sociale et éducative dans les institutions culturelles (35M$), des sommes importantes seront consacrées aux sorties culturelles des élèves (7M$) et la gratuité des musées québécois un dimanche par mois sera assurée (0,5M$).

Plusieurs programmes se sont fait promettre des sommes supplémentaires : le CALQ et la SODEC se verront attribuer 17,4M$ pour l’aide à la création – sans que l’on sache pour l’instant comment se répartiront ces sommes ; le Fonds du patrimoine culturel québécois gonflera son enveloppe de 4M$ supplémentaires ; 8M$ seront consacrés au déploiement de la culture québécoise dans les plateformes numériques. Une bonne part du budget sera également accordée au soutien des festivals et événements culturels partout dans la province.

La prolongation et la création de crédits d’impôts (pour le doublage de films, le premier don important en culture et la production multimédia hors Québec) encourageront également certaines initiatives ciblées. L’application d’une « taxe Netflix » et un support financier supplémentaire au Secrétariat à la politique linguistique sont également au programme.

 

Qu’attendre du renouvellement de la politique culturelle ?

En plus de cet investissement au Ministère, 539 millions sur cinq ans seront réservés à la mise en place de la nouvelle politique culturelle. Celle-ci n’est pas encore officiellement déposée; cela devrait se faire dans les prochaines semaines. Quatre axes principaux sont tout de même déjà annoncés par le budget : le ciblage de la jeunesse, l’amélioration du soutien à la création, le déploiement de la culture dans toutes les régions et dans l’espace numérique (voir le tableau ci-dessous).

Impact financier des mesures pour mettre en oeuvre la politique culturelle (Budget 2018-2019)
Tableau tiré du document budgétaire du Ministère des Finances déjà cité

 

Ces grands thèmes étaient déjà pressentis dans le projet de politique culturelle dont devrait largement s’inspirer la ministre Marie Montpetit. Le projet Partout, la culture proposé par l’ex-ministre de la Culture Luc Fortin était né des consultations publiques de 2016 (auxquelles Voies culturelles avait participé) et a ensuite fait l’objet d’autres consultations publiques en 2017. Ce projet se structurait autour de cinq orientations générales : un engagement spécifique à l’égard des peuples autochtones, l’épanouissement individuel et collectif via la culture, l’établissement d’un environnement propice à la création et à son rayonnement, la dynamisation de la relation entre culture et territoire, ainsi que l’apport au développement économique du Québec. Des objectifs spécifiques qui y apparaissaient sont déjà annoncés par le budget de mars.

La mise à jour de la politique culturelle ne pouvait évidemment pas se faire sans un investissement massif dans l’adaptation au numérique : « le “territoire culturel” est désormais à dimension planétaire » (p. 20) et il faut en tenir compte dans la manière dont se crée et se diffuse la culture. Un souci pour la présence d’une diversité – tant culturelle, que de genre, d’âge et de langage par exemple – est également mis de l’avant dans les adaptations inévitables qu’il y avait à prendre en compte. L’investissement dans l’accessibilité de la culture dans les milieux scolaires était également déjà prévisible dès le projet. Le Ministère souligne que la rencontre entre les jeunes et la culture « passe par le cursus scolaire et elle sera déterminante pour le développement de l’enfant, notamment en ce qui a trait aux habitudes culturelles qui se fixeront à ce moment-là et demeureront, une fois l’âge adulte atteint » (p. 16).

L’accent mis sur l’amélioration du soutien à la création, qui affectera directement la plupart de nos membres, était aussi déjà présent dans le projet déposé par le ministre Fortin : « le gouvernement renouvelle son soutien aux artistes professionnels, aux créateurs ainsi qu’aux travailleurs, aux industries et aux organismes culturels [et désire] mieux refléter l’évolution et la diversité des formes d’expression artistiques et culturelles et d’être les porte-étendards de la créativité québécoise, tant au Québec qu’à l’étranger » (p. 8). Le projet de politique culturelle va même jusqu’à faire du fait d’« Améliorer la condition socioéconomique des artistes professionnels et des travailleurs culturels » (p. 21) l’un de ses objectifs principaux. Espérons que cette intention demeure dans la politique finale et qu’elle se solde par des actions concrètes.

Nous espérons également, chez Voies culturelles, que le souci exprimé pour « l’engagement des collectivités, la présence d’établissements et d’organismes culturels ainsi que l’inclusion de préoccupations culturelles en matière de conservation du patrimoine et d’aménagement du territoire » (p. 8), le désir de partenariats avec les villes (p. 28) et particulièrement avec Montréal (p. 29) implique des mesures qui favorisent la culture de proximité.

 

Mais encore ?

La politique culturelle de la ministre Montpetit et le plan d’action qui en découlera sont encore attendus. Elle devrait ajouter une étape à la reconnaissance de la culture au Québec, un progrès qui se fait très progressivement. La politique culturelle dont s’était doté le Québec en 1992, la première de son histoire et la plus récente également, avait notamment mené à une reconnaissance officielle par l’État de l’importance de la culture et à la création du Conseil des arts et des lettres du Québec. Bien que les actions concrètes demeurent pour la plupart à découvrir et que rien ne laisse présager une action aussi énorme que la création du CALQ, ce que le budget semble annoncer est que ces orientations, cette reconnaissance, devrait être traduite en sommes investies. Le milieu culturel a besoin de soutien pour continuer à être accessible à tou.te.s et à rayonner à l’international : nous espérons qu’il l’obtiendra vraiment.

 

Un texte de Virginie Savard

 

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Sources

 

Michel Beauchemin, « L’étranglement de la culture », À bâbord, dossier « Contre l’austérité » , n° 61 (octobre-no