Hommage à Richard Gingras (1954-2017), libraire mythique de la rue Ontario

Hommage à Richard Gingras (1954-2017), libraire mythique de la rue Ontario

Richard Gingras et le chat de la librairie
Photo: Librairie Le Chercheur de trésors

Centre-Sud a perdu un de ses grands citoyens le mois dernier. Voies culturelles est extrêmement attristé par la mort de Richard Gingras, libraire mythique du légendaire Chercheur de trésors, qui est décédé subitement le 21 novembre dernier à l’âge de 63 ans.

Sa librairie d’occasion et de livres rares était une institution du quartier depuis 1978. D’abord installée avec ses milliers de livres dans un minuscule local au 12, rue Sainte-Catherine (coin Saint-Laurent), elle avait depuis plusieurs décennies pignon sur rue en plein Centre-Sud, coin Ontario et Panet, à deux pas du Théâtre Prospero. Ce lieu attirait une clientèle hétéroclite qui y venait pour chercher – et trouver – non seulement des livres convoités, mais aussi le savoir unique du propriétaire. Richard Gingras possédant une rare expertise des livres anciens et produisant d’ailleurs des catalogues d’estimation, Le Chercheur de trésors était devenu un lieu de référence pour les collectionneurs et les institutions telle que la BAnQ. La librairie était aussi le repère de poètes de la contre-culture. Les œuvres de Denis Vanier, qui a longtemps habité juste au-dessus, y étaient toujours mises en valeur, ainsi que celle de Josée Yvon, par exemple. La revue Steak haché, qui a publié plus de cent numéros entre 1998 et 2007, avait aussi son origine dans cet espace clos rempli de livres et de fumée de pipe qu’était la librairie. Le Chercheur de trésors, disait le propriétaire, « c’est pas énorme — small is beautiful — pas tapageur, pas agressif, pas prétentieux; c’est ordinaire et humain à tous les niveaux; en bref, ça me ressemble tout à fait ». Un endroit simple, honnête et, avouons-le, un peu magique.

Dès le tout début de l’aventure, c’est l’instinct qui a guidé les choix. Le nom de la librairie est le titre du livre trouvé sur le sol de son premier local, sur la rue Sainte-Catherine, oublié par le locataire précédent : le premier roman canadien-français, L’influence d’un livre ou Le Chercheur de trésors de Philippe Aubert de Gaspé fils. En 1982, Richard Gingras déclarait qu’il l’avait choisi parce qu’il y « a quelque chose de magique et de poétique qui porte chance » dans ce titre-là. Et magique, c’est le mot pour décrire l’endroit; y entrer, c’était entrer dans un monde singulier. Les livres, la plupart rares ou anciens, dédicacés ou finement reliés, couvrent chaque surface disponible, un chat s’y était installé depuis de nombreuses années et le propriétaire fumait inlassablement son tabac.

Figure emblématique du quartier, Richard Gingras a été parmi les personnes qui ont pris part à la création de la pièce-documentaire Pôle Sud, présentée en mai 2016 à Espace libre. Ancrés dans Centre-Sud, Richard Gingras et Le Chercheur de trésors, c’est aussi quarante ans de rencontres : « J’ai beaucoup appris de mes clients, avoue-t-il, et pas seulement de ceux qui sont des lettrés et des bouquineurs. Les uns m’ont parlé de livres et d’écrivains; les autres m’ont raconté l’histoire du quartier ou plus simplement leur propre histoire. J’ai écouté et j’écoute toujours. Inlassablement, comme le barman ». Pour ceux qui ont connu fréquenté la librairie, c’est aussi ces conversations et cette écoute qui s’éteignent avec lui.

Richard Gingras a donné sa vie aux livres; il les a aimés, les a conservés, les a partagés : « Les livres, dit-il [en 1982], nous sont peut-être reconnaissants de leur assurer une survie et peut-être nous le font-ils savoir à leur façon? Quoi qu’il en soit, un livre est toujours un trésor pour quelqu’un… ». Il faut les aimer, les livres, pour leur consacrer sa vie : le projet n’a pas toujours été facile. Il disait que, dans le métier de libraire, ce sont seulement « les 25 premières années qui sont dures ». Ayant tenu Le Chercheur de trésors pendant près de quarante ans, on peut croire que Richard Gingras a eu le temps de récolter les fruits de son dévouement.

Ce sont une librairie et un homme comme il s’en fait désormais très peu. Des monuments rares, des institutions du quartier, porteurs d’une vision et d’une histoire. Nous offrons nos condoléances à la famille et aux amis de monsieur Gingras ainsi qu’à toute la communauté qui avait eu la chance de le côtoyer et de le connaître.

Un texte de Virginie Savard

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Sources des citations et autres lectures sur Richard Gingras                                               

Le texte de Jean-François Nadeau dans Le Devoir, annonçant sa mort

Une rencontre avec Conrad Bernier, en 1982, dans La Presse

Un témoignage du libraire dans un article sur les bouquinistes dans Lettres québécoises en 1993

Un article à propos de la revue Steak haché dans L’Itinéraire en 1999

Une rencontre avec Marie-Claude Simard, en 2006, dans La Presse

Un témoignage du libraire dans un article sur les bouquinistes dans La Presse en 2010